jeudi 14 août 2008

Louis XIX et Henri V.

Louis XIX et Henri V :

les derniers Rois Bourbons.



Louis XIX (1775-1844) :





Henri V (1820-1883) :





Très mal connus sont ces deux derniers rois, étant donné la brièveté de leur règne (20 minutes et 5 jours) et le fait qu'ils n'aient pas été proclamés.


Nous sommes en 1830. Charles X (frère de Louis XVI et de Louis XVIII) vient d'être déposé par les "Trois Glorieuses" (27, 28 et 29 août 1830). Il signe alors son abdication le 2 août 1830.

Le duc d'Angoulême, son fils, Dauphin de France, se trouve alors à ses côtés. Il doit lui aussi signer l'abdication au trône auprès de son père.


Louis-Antoine d'Artois, Duc d'Angoulême naît le 6 août 1775 à Versailles et est le fils aîné de Charles X.

Le 13 juillet 1789, il est exilé avec toute la famille royale mais il devient Dauphin de France en 1824 à l'avènement de son père.

Il rejoint l'armée de Condé en 1792.

A la suite des "Trois Glorieuses", Charles X abdique (2 août 1830) en faveur de son petit fils, Henri d'Artois. Charles X oblige donc son fils aîné à abdiquer car il le juge impopulaire et incapable de conserver le pouvoir.

C'est sous la pression de son père qu'il signe son abdication, mais selon les Lois Fondamentales du Royaume (qui n'acceptent pas l'abdication), il a bien été roi de l'abdication de son père à son abdication personnelle : Louis-Antoine a donc été Roi de France pendant 20 minutes !

Ses 20 minutes de règne font de lui le roi qui a règné le moins longtemps avant Jean I et Henri V qui ont règnés 5 jours.

Selon un chroniqueur de l'époque, Louis-Antoine aurait supplié son père en ces termes : "Laissez-moi règner seulement une heure". Ce à quoi, Charles X aurai répondu : "Vous ? Sûrement pas !"... Sa personnalité n'était en effet pas faite pour soulever l'enthousiasme des "beaux esprits" de cette époque. Timide, réservé, trop modeste, il n'en était pas moins courageux, ferme sur ses principes, ouvert à l'évolution et juste, mais sa soumission à l'autorité de son père en a fait un homme trop faible malgré qu'il eut été le prototype du prince capétien.

La famille royale part en exil le 16 août 1830.

Charles X meurt en 1836 en Autriche, Louis-Antoine est alors l'aîné des Bourbons toutes branches confondues. Les légitimistes, pour qui il est le dernier espoir au XIXe siècle, le reconnaissent alors comme Roi de France et de Navarre même si dans l'exil il ne porte que le nom de "Comte de Marnes".

Il meurt en 1844 à Nova Gorica (Slovénie) en exil.


A l'abdication de Charles X puis de Louis XIX, reste Henri, le fils de Marie-Caroline et du Duc de Berry (fils de Charles X, assassiné avant la naissance de son fils en 1820).


Henri Charles Ferdinand Marie Dieudonné d'Artois nait le 29 septembre 1820. Son père est le second fils de Charles X.

L'abdication de son grand-père (Charles X) puis de son oncle (Louis XIX) lui transmet directement la couronne.

Henri a 10 ans et il est présenté en uniforme de cuirassier devant les Troupes Royales. Ce sera tout.

A la mort de son grand-père, puis de son oncle, il devient l'aîné de la famille royale. Ses partisans (dits "légitimistes") restent dans l'opposition sous la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe (1830-1848), sous la Deuxième Répoublique (1848-1852) et sous le Second Empire (1852-1870).

Après la défaite franco-prussienne, une restauration monarchique au profit du Comte de Chambord semble possible. De plus, l'assemblée élue en 1871 est majoritairement royaliste (même s'il y a une division entre légitimistes et orléanistes). En 1873, sa montée sur le trône semble inéluctable. Il fait même réaliser une série de carosses à son nom pour son entrée dans Paris. Il est également prévu que le général Mac Mahon, alors président de la République, le mène à l'Assemblée Nationale pour le faire reconnaitre par acclamation. Cependant, par un manifeste du 5 juillet 1871 (réïtéré le 23 octobre 1873), il refuse d'abandonner le drapeau blanc pour le drapeau tricolore (héritage de la Révolution), ruinant alors la restauration monarchique.

Les orléanistes et certains légitimistes décidèrent alors d'attendre la mort d'Henri V pour proposer un candidat plus diplomate : le Comte de Paris, Philippe d'Orléans (1838-1894). C'est alors que l'on porte le mandat présidentiel à 7 ans, d'une République temporaire.

A la mort d'Henri V le 29 septembre 1883, la France opte mollement pour la République comme "forme de gouvernement qui nous divise le moins" (Adolfe Thiers). Une majorité républicaine se trouve aussi à l'Assemblée. Tout espoir d'une restauration monarchique s'évanouit donc au profit de la République.

Henri V est donc le dernier Roi, descendant français de la branche des Bourbons au sein de la Maison de France.


Le lieutenant général Louis-Philippe d'Orléans, par un coup d'Etat, est élu par la Chambre des députés le 7 août 1830. Naît alors la Monarchie de Juillet...



Bibliographie :
Quid 2004.

L'histoire de France pour les nuls.


mardi 12 août 2008

Bhairava, la colère incarnée


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Auteur : GUILLAUME PATEY.


Bhairava, la colère incarnée Voyage dans l'Inde du Sud et ailleurs...

Bhairava Sarnath.

Introduction à la dévotion à Bhairava Etymologie et origines Le terme sanskrit Bhairava signifie «terrible»; Bhairava est une forme colérique ou Ugramūrti. Il désigne les formes prises par de nombreuses divinités aussi bien bouddhiques que hindoues qui ont pour rôle de mettre en fuite les passions et les désirs qui lient l'homme au monde matériel et
l'empêchent de progresser sur le chemin de l'accomplissement de soi. Il est regardé comme étant le servant de Kālī, qui porte les mêmes attributs. Il s'inscrit dans le culte sectaire et est aussi proche du courant Dakṣiṇamārga, accordant une grande place à la notion de destruction. Sa colère serait issue du sein de Kālī qu'il têta étant enfant. D'autres s'accordent à dire qu'il est le fils de Śiva et de Parvatī au même titre de Gaṇeśa ou Skanda.
Il désigne aussi les formes terrifiantes prises par Śiva et Rudra (forme terrible issue des Veda) pour protéger l'univers. Śiva prend ainsi soixante-quatre formes dont huit principales, les aṣṭabhairava, contrôlées par Kālābhairava, criminel suprême, décrites par les textes:
– Asitāntga: il porte les membres noirs.
– Sandhāra: le destructeur des ennemis.
– Ruru: le chien qui chasse les ennemis.
– Kāla: le Noir.
– Krodha: le Courroucé.
– Tāmra-cūda: il porte une crète rouge.
– Candra-cūda: sa coiffure porte un croissant de lune.
– Mahā: le Grand.
Cette multiplication se fait lorsque Bhairava eut apaisé la colère de la Déesse. Ils n'interviennent que dans le contexte de la dévotion, on ne les voit jamais agir lors des mythes. Chacun est le gardien d'une direction et dans les temples, ils sont disposés face à ces directions; symbolisant leur emprise sur le monde entier. Chaque Bhairava est le chef d'une troupe de sept de ses soixante-quatre semblables.
Une infinité d'autres noms existent, parmis lesquels Bhïṣaṇa, Saṁhāra, ou encore Kāpāla.
Bhairava est aussi le nom des āgama de Śiva, au nombre de vingt-huit qui constituent la base,
d'autres étant ajoutés avec le temps. Ce sont des textes shivaïtes qui auraient été révélés à Śiva par Parvatï.
Enfin, c'est l'aspect effrayant des acolytes féminines de Śiva et Durgā, représentées avec une figure
rouge à trois yeux, un collier de crâne, tenant en leurs mains un rosaire et un livre; et vénérées dans les textes tantriques. Elles symbolisent l'omniprésence de la mort et un des dix objets de la
connaîsance de Śiva.
Bhairava est un dieu qui revêt une multitude de formes, et on le confond souvent avec les autres ugramūrti. Ces formes sont plus nombreuses que dans toutes les autres formes de Śiva. Cette multiplicité s'explique par le fait que le dieu s'adresse à différents types de fidèles et par conséquent qu'il remplit diverses fonctions. On le prie pour éloigner la maladie, protéger son voyage, détruire les angoisses et arriver au salut. Ceci implique une multitude de représentations. En tant qu'aspect terrible, Bhairava représente le paria qui comit le pire crime défini par la religion
hindouiste mais protège aussi des démons qui représentent les désirs. Il va s'agir ici de montrer les différentes nuances qui apparaissent dans l'iconographie, tantôt le mendiant brahmanicide, tantôt protecteur chassant l'ennemi. Cette question du contraste se pose d'elle même lorsque l'on regarde les représentations.
Bhairava est l'incarnation de la délivrance du péché et non l'incarnation du péché lui-même, chose montrée par le mythe d'origine.




Les dévotions envers Bhairava ; les sectes La dévotion envers Bhairava
On distingue trois importantes sectes qui adoraient Bhairava en Inde aux temps médiévaux. Elles ont pour pays d'origine l'Inde du sud (Karnataka; Andhra Pradesh et Tamil Nadu) et ce sont par elles que le culte se répand. Ainsi nous avons les Kāpālika, les Kālāmukha et les Mahāpaśupata. Ce sont des adeptes marginaux aux pratiques que les brahmanes considéraient comme pure hérésie. C'est pourquoi les sources qui traitent des sectes ont tendance à exagérer le propos pour mieux discréditer les pratiques.
Les Kāpālika sont les adeptes les plus célèbres. Ils vivaient de la même manière que le dieu dont ils étaient les adorateurs et contribuèrent au développement du culte de Bhairava. Ils vivaient dans la forêt vêtus seulement de pagnes et de peaux de bêtes. Considérés comme des hors castes, ils rendaient impurs tous ceux qui passaient à proximité d'eux ou qui entraient en contact avec eux.
Tout comme leur dieu, ils mendiaient leur nourriture dans un bol taillé dans un crâne. Ils étaient en relation avec le crime de Śiva mais font le voeux de cette vie d'expiation. Cette contradiction vient
du tantrisme (la grande opposition). Ce voeux se traduit en sanskrit par Mahāvrata (ou Grand Voeux). Leur culte est mal connu car les textes émanant des Kāpālika eux-mêmes sont rares et les sources principales sont exagératrices car considérés comme hérétiques. Toutes les sources les présentent comme repoussants et ayant recours à des pratiques extrêmes et sanglantes telles le sacrifice humain et animal.
Ils vénéraient Bhairava comme dieu suprême, assurant les fonctions de création (sṛṣṭi), de préservation (sthiti) et de destruction (saṃhāra), les autres dieux n'étant que des portions de lui. Le culte s'adresse aussi à la déesse sous sa forme terrifiante, à savoir probablement Kālī.
Les Kālāmukha, selon certaines sources, mangeaient dans les crânes, s'enduisaient le corps des cendres des morts et consommaient ces cendres, portaient un bâton (laguḍa) ainsi qu'un bol dans lequel ils pouvaient boire de l'alcool ou du sang pendant le culte. Cette description peut aussi
s'apparenter à celle des Kāpālika et cette confusion est volontaire; elle vise à discréditer le culte. En effet, les Kālāmukha avaient une grande influence en Inde du sud (surtout au Karnataka). Ils faisaient eux aussi le Mahāvrata mais plutôt d'une manière différente, expliquée par les sūtra.
Leur société est organisée en deux groupes: les Śaktipariṣad et les Siṃhapariṣad. Ils fondèrent des temples et des monastères dans lesquels ils pouvaient enseigner. Il avaient pour cela la bénédiction
des rois. Leurs signes distinctifs et tenue sont inconnus, on sait qu'ils s'enduisaient le visage de manière à ce qu'il soit noir (d'où leur nom). Une description les présente comme s'importe quel ascète shivaïte, le corps couvert de cendres, un pagne et une peau d'antilope pour tout habit, un rosaire de rudrakṣa et errant avec un bâton surmonté d'un crâne. Enfin, leur culte à Bhairava n'est pas exclusif, ils vénèraient d'autres divinités.
Les Mahāpaśupata sont mystérieux. Ils vénéraient Viṣṇu et Bhairava comme l'indique le Vāmana- Purāṇa). Associés au mythe du meurtre d'Andhaka, les paśupata font partie de l'armée qui combat le démon. Ces adeptes seraient en fait des paśupata pratiquant un voeux, en association avec les Kālāmukha.




Les temples Les temples dédiés à Bhairava sont de petites chapelles comprises dans un sanctuaire qui abrite aussi les assesseurs à savoir Gaṅeśa, la Devī; l'adoration du liṅga s'y pratique également. On peut ainsi citer le Lakṣmīdevī dans le Thiruvananthapuram (sud de l'Inde), fondé en 1113. Sa chapelle est parallèle à celle de Kālī.
Il est situé en annexe, dans une chapelle indépendante ou bien comprisdans le plan du bâtiment.




La naissance de Bhairava: le brahmanicide
Le liṅga de feu Śiva Lingodbhavamūrtī est la forme de Śiva dans le cadre de la légende du liṅga de feu. C'est dans cette légende que prend corps la forme première de Bhairava, ou Bhairava Brahmāśiraścedakamūrtī: celui qui a coupé la tête de Brahmā.
Un jour, une dispute a lieu entre Brahmā et Viṣṇu, chacun se revendicant le plus grand des dieux, et celui dont est issu le monde et les autres dieux. Un linga de feu immense apparaît alors et chacun décide d'entreprendre de trouver l'extrémité du liṅga afin de déterminer la suprématie de l'un ou de
l'autre. Brahmā prend la forme d'une oie et s'envole pour trouverl'extrémité supérieure, et Viṣṇu celle de Varāha, le sanglier, un de ses avatāra, pour fouiller la terre et trouver l'extrémité souterraine du liṅga. Aucun des deux deva ne trouve l'arrêt de la gigantesque apparition et c'est là que Brahmā décide de tricher: il arrache une fleur d'un arbre pour prouver qu'il a bien trouvé ce qu'il cherchait.
Śiva sort du liṅga de feu et explique qu'aucun des deux dieux ne serait là sans lui, qu'il est le créateur suprême. Il entre alors dans une grande colère contre l'acte de tricherie de Brahmā, prend la forme terrible de Bhairava et lui coupe d'un coup d'ongle d'une main gauche ou d'un coup d'épée tenue en sa main droite, sa cinquième tête.
Bhairava se rend alors coupable de brahmanicide (Brahmatyā), ce qui est un péché extrêmement grave. Brahmā meurt mais revient à la vie grâce à sa puissance spirituelle. Il conseille alors à Śiva
de partir vêtu d'une peau de tigre (jamais représentée) à la rencontre de Viṣṇu. Il conserve cette forme pendant douze années, et a la tête coupée de Brahmā collée à sa main et il erre dans les cimetières et les lieux de crémation pour expier sa faute, devenant Bhikṣāṭanamūrti .
Ce n'est qu'au terme de ces douze années et parvenu à Bénarès afin de se baigner dans le Gange sacré qu'il peut reprendre sa forme suprême.
Cependant, il existe des variantes du mythe: Brahmā conseille à Śiva de partir à la rencontre de Viṣṇu et de demander son pardon. Bhairava atteint le domaine de Viṣṇu qui est gardé par un gardien
de porte connu sous le nom de Viśvakasena. Il le tue et se rend une nouvelle fois coupable de brahmatyā. Il fixe le corps sur son trident et court vers le Préservateur. Bhairava mendie alors sa pitance que Viṣṇu rejette. Ce dernier entaille même le visage de Bhairava. Il demande alors
comment il pourrait laver ses péchés, ce à quoi Viṣṇu répond qu'il doit se rendre à la cité sacrée de Varanasi. Le gardien Viśvakasena revient à la vie une fois le péché expié.
Dans la statuaire (ici, une sculpture provenant du Karnātaka, en Inde du Sud, pays d'origine des sectes susnommées), on représente ce mythe par divers éléments comme le crâne qui peut correspondre à celui de Brahmā, ou ici à celui d'un démon (asura) - dont le cadavre sans tête est encore visible - et qui lui colle à la main. On voit que la notion de salut de l'âme et de triomphe sur les désirs est présente. Ce kapāla sert de bol pour recueillir les deniers, fruits de la mendicité dont doit vivre Śiva pendant les douze années de son errance. Il sert également de coupe à boire. C'est ici en fait une tête complète et non un crâne au sens strict du terme. Un chien lèche le sang qui s'écoule de la tête qui semble fraîchement coupée. Des têtes fraîchement coupées sont agencées en guirlande, correspondant à celles de Brahmā ou celles des asura (śiromālā). On peut par ailleurs remarquer qu'il est accompagné par des personnages squelettiques terrifiants.
Sa main supérieure droite tient le triśula ou trident, symbole de le création, de la préservation et de la destruction. C'est un attribut propre à Śiva. Dans la main inférieure droite, l'épée aujourd'hui disparue renseigne sur la nature guerrière du dieu.
Il tient également un tambour à boules flottantes, ou ḍamaru, symbolisant le son primordial. Là encore, c'est un attribut propre à Śiva.
Enfin, ses crocs montrent encore l'aspect guerrier et courroucé de Bhairava. Son regard est exhorbité et sa coiffure ebouriffée est propre au formes terribles et aux démons (jaṭābhāra). Il est chaussé de sandales de bois, ce qui révèle la nature ascétique du dieu Śiva.
On est ici en présence d'une représentation très parlante de la forme Brahmāśiraścedakamūrtī, punitive. Le dieu est saisi dans l'expiation de son crime. Toutefois, les attributs typiques renseignent sur la vraie nature de Bhairava, puisqu'il s'agit de Śiva.
Une autre forme présente Bhairava portant le cadavre du gardien Viśvaksena. Il s'agit de la forme Kaikālamūrti. Cependant, la rareté des représentations ne permet pas d'étude iconographique ici, simplement une mention. Dans une autre version du mythe, le sang de la tête du gardien de porte servit à remplir la coupe crânienne de Bhairava qu'il dût porter jusqu'à Bénarès, et ce dernier dansa sur son cadavre et le transporta sur une longue distance.




L'inceste de Brahmā et le mythe de la forêt primordiale Une autre légende explique le brahmanicide dont s'est rendu coupable Śiva et les conditions dans lesquelles, comme dans le mythe précédent, il devient Kapālin.
Brahmā tombe amoureux de sa propre fille, désir insufflé selon certaines versions par Kama le dieu de l'amour. Il se fait pousser quatre têtes afin de pouvoir toujours la voir. Il divise ainsi le monde en quatre régions. Embarassée, la fille de Brahmā monte dans les cieux. Le Créateur de se fait alors pousser une cinquième tête afin de regarder au zénith et toujours voir sa fille. Śiva sous les traits de Bhairava coupe alors avec l'ongle de son pouce gauche cette cinquième tête pour empècher Brahmā de se livrer à l'inceste.
C'est pour cet acte, malgré la bienveillance qui le préside, que Bhairava doit errer dans la forêt. Un jour, il apparaît sous sa forme Kapālin à face noire et paraissant comme fou, portant seulement sa coupe crânienne à des ascètes situés autours d'un feu sacré. Kapālin se mit alors à danser et à hurler tel un hibou perturbant les sages dans leur rituel et attirant les femmes de ces derniers. Ils maudirent l'apparition et en firent tomber le liṅga qui se transforma en flamme. Bhairava disparut en compagnie des femmes frénétiques des ascètes .




De l'association de Śiva terrible et ascète



Bhikṣāṭanamūrti est lié à tous les mythes qui présentent Bhairava comme étant le meurtrier, le pécheur qui coupa la cinquième tête de Brahmٜā et à ce qui suit; la condition de mendiant.
Bhairava en ascète est une forme pénitente. Le côté farouche n'apparait pas. Il suffit de regarder la représentation pour le voir. C'est une particularité de l'art fastueux des Hoysala du temple Shivaite d'Hoysalesvara à Halebid du XII e siècle, ils représentent Bhairava davantage comme un ascète.
Cette forme présente le dieu Śiva nu, non pas dans une dimension violente mais dans une dimension érotique puisqu'il tente de séduire les épouses des acètes ou ṛṣi. Il représente sous cette forme tous les ascètes et il est vénéré par eux. En effet, on remarque bien l'absence de crocs. Les attributs
inhérents à Śiva sont présents comme le cordon brahmanique yajnopavita, le tambour (ḍamaru) et enfin le trident (triśula). Dernière particularité et de taille: le chignon d'ascète jatamukuta est préféré à la coiffure ébourriffée ou jaṭābhāra.
On ne reconnaît Bhairava que si l'on regarde les êtres qui constituent sa suite et quelques uns de ses attributs. Tout d'abord Ruru, le chien. Il dévore le cadavre d'un démon sur lequel le dieu se tient debout en signe de domination et de victoire, ajoutant à la dimension macabre du haut relief.
Egalement, une preta, être macabre et sordide évoqué plus bas, le suit. Elle est ici décharnée, squelettique. Il porte également la guirlande de crânes.
Cette représentation de Bhairava peut aussi se rencontrer au temple de Bhairava à Bénarès, dans l'ākhāḍā, endroit où les lutteurs s'entraînent, et où des cérémonies sont de nos jours encore célébrées. Il porte alors une moustache, chose qui accentue la dimension terrible puisque c'est une particularité des démons. On peut d'ailleurs la voir sur des miniatures plus tardives. Ses beaux cheveux sont ornés du croissant de lune et il est assis sur un chien. Richement paré, il porte la peau d'éléphant, et des crânes ainsi que des scorpions et des serpents.
On se demande alors pourquoi associer une forme terrifiante et une forme ascétique. Il faut pour cela se référer de nouveau à la légende originelle où Śiva trancha la tête de Brahmā. Pour expier son
crime, il est contraint d'adopter une attitude d'ascète. Simplement ici, c'est l'aspect mendiant et paria qui sont mis en avant.




La représentation de Bhairava, l'iconographie Les premières images sculptées remontent dans le sud au VII e siècle ou VIII e siècle. Ce sont des images balbutiantes alors que dans le nord, on a dejà une iconographie fixée à partir des Gupta du V e et du VI e siècle ( représentation de Andhakasuravadhamūrti à Ellora et Elephanta). Mais c'est au X e et au XIII e siècles que vont se développer les images sculptées, date à laquelle le culte de Bhairava se popularise. Il est plus tardif dans la littérature et les images antérieures au VIII e siècle sont inexistantes.
La représentation de Śiva Mahādeva (11), forme suprême, porte en elle trois formes dont une féminine et une terrible. C'est le visage de Bhairava qui est montré sur une des trois têtes. Il se trouve sur la droite du relief et ses attributs n'apparaissent pas sur l'image présentée ici. En outre, il
porte traidtionnellement la bâton (danda) symbolisant la mort et le fruit cédrat (mātuluṅga) qui représente les graines de l'univers. Le serpent est aussi dans son répertoire d'attributs et la calotte crânienne qu'il lèche souvent.




Son apparence et ses suivants Plusieurs textes décrivent Bhairava et son iconographie nous est connue par ceux ci. On peut ainsi dresser un panorama des plus complets sur les différents aspects que peut prendre le dieu. Cependant, tout ne se transcrit pas sur les images sculptées qui se basent sur ces textes.
Voici quelques descriptions pour commencer qui montrent toute la diversité et l'imagerie des textes:
“Sombre comme un nuage noir, à la grande bouche, terrible, auquel rien ne résiste, incommensurable aux boucles mobiles qui est la cause de la destruction du monde dont l'ennemi roule à ses pieds aux éclats de rire prolongés” (l'Ākāśabhairavakalpa)
“De couleur blanche à dix bras, cinq visages, trois yeux, il porte le don [...] un cadavre sombre comme la nuit, une conque sonore, un arc, une flèche, un ḍamaru, l'absence de toute crainte, tel est Bhairava qui octroie tous les siddhi” (le Devatādhyānaśloka)
“Il est nu, il a trois yeux, il est orné de boucles de cheveux, il est de couleur noire. Il a un bâton, deux bras, une veste noire. Il est doté d'un serpent et de la lune dans sa coiffure, de boucles d'oreilles, il doit être orné d'une guirlande de clochettes, il est paré de tous les ornements. (le Devatādhyānaśloka)




Apparence générale, habits, parures et attributs



Bhairava est de carnation sombre, comparée dans les textes à un “nuage d'orage”, un “pétale de lotus”. C'est une connotation menaçante. La couleur rouge est aussi fréquente, décrite comme s'apparentant au “soleil qui se lève” et “cuivrée”. Une autre couleur est celle du blanc, “comme la neige” et plus rarement le “jaune d'or”.
Sa stature est trapue, il est court sur pattes mais doté d'un corps musclé, parfois même ventripotent. Il est jeune et même dans certaines sources, enfant. Son visage s'illumine d'un sourire, signifiant qu'il s'apprête à dévorer tout ce qui se trouvera sur son passage ou pour rire. Sa langue sort parfois pour pourlécher ses babines ou bien s'agiter. Cette dernière action n'est jamais présente sur les images sculptées ou peintes. Son nombre de têtes varie entre une et mille tout comme son nombre de bras et de jambes qui peut aller jusqu'à mille sous la forme Akāsabhairava.
Bhairava adopte parfois une attitude paisible, déchanchée ou assise. Lorsqu'il marche, ce qui est propre à son association à Bhikṣāṭana. C'est alors une représentation de son errance après avoir tué Brahmā et à sa pénitence.
Dansant, c'est la victoire sur Brahmā qui est représentée. Cela peut aussi se rapporter à la danse cosmique de la Béatitude interprétée à chaque fin de kalpa. Elle associe alors la création (ṣṛsthi)la préservation (sthiti, la desctruction (saṃhara), la protection de l'illusion (tirobhava), ainsi que la grâce (anugraha). On retrouve ces formes dansantes de Bhairava principalement au sud de l'Inde.
Celui présenté ici est le seul exemple que l'on connaisse en Andhra Pradesh (toujours au sud). Il danse sur un lotus entourré d'une fleur. Doté de quatre bras, il porte le ḍamaru, l'épée, le crâne et le
serpent. Aucune de ces représentations ne correspond aux traités iconographiques.
Les poses guerrieres ne se trouvent que dans le nord du pays. Assis, c'est le signe de sa terrifiante apparition et on lui sacrifie alors des boucs que l'on mange dans le templs, trangressant les règles de l'hindouisme (Bhairava est le dieu représentant la transgression et le pardon de cette transgression).
La dimension du bruit est aussi très présente, les textes le décrivant comme riant de manière “éclatante comme le tonnerre”.
Chose importante: la nudité est récurente, parfois une veste la cache partiellement. Il peut être habillé de rouge, de jaune ou de noir. Une peau de bête peut aussi constituer son costume (l'éléphant du mythe d'Andhaka, le tigre, ou encore le lion). Les socques en bois sont un signe de sa pénitence (mythe d'origine, décrit plus loin).
Bhairava porte une coiffure dressée en auréole et bouclée, ses cheveux “tremblent” ou sont “épars et libres”. Ils peuvent être tressés en jatamukuta, retenus par un serpent. Il ne porte la moustache que dans l'art des Cāḷukya.
Sa parure est constituée de rouge et d'or, de crânes et souvent voire toujours de serpents. Ces serpents s'enroulent autours de sa taille, lui constituant une ceinture, autours des cuisses ou encore en formant des boucles d'oreilles. Ce sont aussi bien des serpents dits “normaux” que de nobles Nāga. Le Varāha-Purāṇa précise l'origine de leur utilisation comme parure: Rudra, avant de combattre Andhaka, invoque le Nāga Vāsuki, qui apparait aussi dans le mythe du barattage de l'Océan de Lait, et s'en fait des ceintures et bracelets.
Des anneaux ornent les oreilles du dieu (il peut y avoir là aussi des serpents). Des guirlandes de clochettes sont portées en ceintures ou autours des cuisses. Celles constituées de crânes qui lui barrent le torse sont composées de la tête des dieux vaincus en fin de kalpa ou des têtes coupées de Brahmā. Cela peut tout aussi bien être les têtes des démons vaincus dans les différents mythes. Une guirlande de perles peut rappeler sa nature terrifiante. Il peut aussi avoir des anneaux aux chevilles.
Ses attributs sont très variés et leur signification est extrêmement complexe par leur nombreuses connotations. Ainsi figurent le trident, les crânes, la cloche, le lien pour signifier son emprise sur les animaux (paśupati), la bâton, la massue, le cakra. D'autres s'ajoutent à cette liste non exhaustive et les plus importants seront décrits au cours de l'étude.




Monture, parèdre, suivants
Ruru est le nom du chien accompagnant Bhairava, et on pense qu'étymologiquement, Ruru signifie aboyer, crier, en référence à l'onomatopée. Bhairava le monte. Il peut ne pas être accompagné de monture sur les représentations iconographiques. Deux chiens peuvent aussi encadrer le dieu. Cette monture se réfère au crime commi par Śiva, le chien est un animal impur par excellence. Il peut se situer par rapport à lui devant, derrière ou sur les côtés ou. Le chien est de la même couleur que le dieu, paré tout comme lui et de couleur rouge aux oreilles, à la gueule et aux pattes.
Il peut ainsi avoir sa statue à côté de celle de Bhairava, et être petit ou grand. Il lèche le sang qui sort de la tête fraîchement coupée ou s'écoulant du kapāla et pour ce, sauter, grimper sur les petits suivants et démons. Le chien peut tout aussi bien ignorer ce sang, les représentations sont très diverses. Scellé, il indique bien sa fonction de monture.
A la différence des textes, les images ont profusion de ces représentations du chien. C'est un animal à nature ambivalente: du point de vue des brahmanes, c'est l'animal le plus impur de la mythologie
hindoue car c'est un animal qui se nourrit dans les ordures, nécrophage, et il est pour cela considéré comme le messager de Yama le dieu de la mort. Il est aussi associé aux hors castes et aux chasseurs.
Cependant, du point de vue des autres catégories socio-professionnelles comme les artisans, le chien est bénéfique car il aboie lorsque des voleurs entrent sur la propriété, avertissant le maître des lieux, il est le plus fidèle des compagnons. Par preuve de leur dévotion envers Bhairava, les fidèles
s'occupent des chiens et les nourrissent Il s'inscrit également dans le prolongement de son association au Rudra des Veda.
D'autres montures sont mentionnées, jamais représentées (à l'exception du cadavre sur lequel Bhairava peut être assis), chacune correspondant à une des huit aṣṭabhairava. Ainsi, il y a le lion, le taureau, Garuḍa, le cheval, le canard, le paon, le cochon. Le serpent, au lieu d'être une parure peut
être un suivant.
Sa parèdre est Kālī la Noire ou bien Parvatī, qu'il s'amuse à effrayer avec un de ses serpents.
Diverses créatures macabres constituent la suite de Bhairava. On peut citer les gaṇa, nains obèses de diverses formes. Ils peuvent constituer la suite de Śiva de manière générale. Ils sont en général commandés par le dieu Ganeśa et d'un naturel farceur.
Autre personnages suivant Bhairava; les yoginī souvent au nombre de deux. Ce sont des divinités féminines, tantriques et tout à fait gracieuses qui constituent l'énergie des yogi. Les Mères (ou Śakti) forment aussi sa cour. Elles sont les energies liées aux dieux.
Les suivants les plus importants sont les preta. Ce sont des esprits désincarnés dont le karma tourmenté ne permet pas la transmigration. Ils flottent en quelque sorte entre les mondes. Ils constituent les esprits d'enfants morts nés. Certaines représentations en montrent en train de bercer un enfant. Décharnés, ils errent dans les cimetières et se nourrissent parfois même d'excréments. Ils sont associés à de petits démons (bhūta, piśāca, mātṛ) qui peuvent boire le sang du kapāla faisant
ainsi pendant au chien. On pense aussi que ce sont des nains gaṇa de formes différentes. Si Bhairava les contrôle, c'est afin de les empêcher de tourmenter les humains.
Si Bhairava est suivi de ces petits démons, il déteste les grands démons qu'il “broie” ou “détruit” et les combat avec violence. Par opposition, si ces êtres sont émaciés et squelettiques, les grands asura sont guerriers, armés. On ne trouve jamais ces petits êtres au Tamil Nadu.
Bhairava peut aussi être suivi par un personnage féminin répondant au nom de Brahmatyā. Elle personnalise le crime de brahmanicide et suit Bhairava partout. Elle représente la conscience, le
remord. Elle est décrite, selon les versions comme horrible intouchable et repoussante, de couleur rouge à la langue pendante. Elle boit du sang et de ses lèvres dépasse une paire de crocs. Recouverte de parfum, elle a les yeux jaunes, grande et elle effraie le dieu lui-même. Selon le Vāmana-Purāṇa,
elle est vieille et sent le poisson. Certaines sources décrivent en revanche Brahmatyā comme jeune.
Enfin, dans les suivants non émaciés, on peut trouver des danseurs, des musiciens, des chasseurs de mouches.




Ses attributs les plus fréquents et les plus importants sur les représentations sculptées.
Les quatre premiers présentés ici sont les plus fréquents et lorsque Bhairava porte quatre bras, il est systématiquement doté en ses mains gauches du trident et de l'épée et en main droite du serpent et du crâne.




Kapāla
Le Kapāla est l'attribut type de Bhairava, c'est celui qui le caractérise le mieux et le plus. Il figure sur toutes les représentations sculptées à l'exception de cinq d'entre elles. Il prend la forme d'un simple bol à aumône taillé dans le crâne de Brahmā. Bhairava le porte dans la main gauche (ou une des mains gauches) systématiquement car c'est de la main gauche qu'il décapite le Créateur et dans cette main que reste collée la tête. Véritable bol, le Kapāla peut servir à boire du sang, de l'alcool, mendier. Selon les régions, il prend plusieurs formes: en Andhra Pradesh, il est très stylisé et ne semble absolument pas fonctionnel. Au Karnataka, il est de forme plus classique.
Le plus souvent, Bhairava tient le Kapāla devant lui et esquisse un geste qui ferait penser à la mendicité ou au fait de verser un liquide.
Il a aussi une connotation démoniaque: Viṣṇu répondant à l'aumône de Bhairava verse du sang dans le Kapāla qui ne se remplit jamais, illustrant l'insasiété éternelle.
Parfois remplacé par une tête entière, cette dernière n'est pas à associer systématiquement à Brahmā mais aussi à un démon. Elle est toujours couplée à une épée portée dans la main droite. Bhairava danse alors sur le cadavre.




Triśula
Le trident porte en lui de multiples significations. Il peut entre autres incarner les trois fonctions de Création, Préservation et Destruction auxquelles Śiva est intimement lié. Son manche peut être court ou long et il peut être ouvragé ou très simple. On a donc une grande diversité dans les représentations. Au Karnataka, il est orné d'un crâne. C'est aussi une allusion à Viśvarupa le gardiens de porte de Viṣṇu et à Andhaka tous deux tués à coup de trident.




Khaḍga C'est l'épée. Elle est tenue en une des mains droites et fait pendant au crâne de la tête qu'elle à coupée. Sa pointe est dirigée indifféremment vers le haut ou vers le bas. Elle peut être courte et se confond alors avec le poignard courbe.
L'épée peut aussi être enflammée (dans les Veda) et dans ce cas elle symbolise le combat contre les démons et l'ignorance.




Nāga
Le serpent porte en lui de multiples significations. Il est dispensiateur de mort, il est également créateur car il se dresse tel le liṅga et symbolise le renouveau parce qu'il mue. Il symbolise le pouvoir de Śiva à tout accomplir. Le serpent est aussi associé à une arme et à la fonction de protection d'un endroit. Bhairava a autorité sur les serpents et réside en leur demeure ; le pātāla.




Paśu
Le lien se retrouve surtout au Tamil Nadu et est lié à la fonction de paśupati, maître des animaux et des troupeaux. C'est la représentation de l'illusion (tirobhava) et du karma qui enchaîne les hommes.
De la même manière, Bhairava libère Brahmā de son arrogance.






Ghanṭa La cloche est un attribut infâmant. Elle est associée aux hors castes, aux lépreux qui la portent pour prévenir les brahmanes et les castes pures de leur arrivée afin de leur éviter une éventuelle pollution. Elle est ici le symbole du crime de Śiva.




Kha ṭvāṅga
Il s'agit du bâton surmonté d'un crâne. Il peut aussi prendre la forme d'un tibia, d'un os allongé en tous cas. Il symbolise la mort. A l'origine, c'est le pied du brancard qui transportait les morts au bûcher (dans le Viṣṇu-Purāṇa). Mais c'est aussi une arme telles une massue. Elle représente aussi le brahmanicide pénitent et c'est un instrument utilisé par les sorciers et les mages qui peuvent à son aide ressusciter les morts. Cette massue peut être comparée à un sceptre lorsque Bhairava est assis.




Les mythes liés à Bhairava Le meurtre d'Andhaka – Andhakasuravadhamūrti Une des légendes met en scène Śiva tuant le petit démon Andhaka. Andhaka est en fait le propre fils de Śiva, né de sa sueur. Cette légende est narrée dans le Supabhedāgama, le Śiva-Purāṇa ou encore le Liṅga-Purāṇa. Andhaka règne donc sur le monde et obtient par des austérités des faveurs de la part de Brahmā. Il se met alors à causer des désagréments aux autres dieux qui vont se plaindre à Brahmā qui renvoie ceux-ci auprès de Śiva au mont Kailāsa. Alors que ce dernier écoute les doléances de ses pairs, Andhaka se rend sur le mont Kailāsa pour enlever Parvatī. Un autre démon, Nila, sous la forme d'un éléphant, est destiné à tuer Śiva. Mais Nandi, sa monture, est vigilant et il prévient l'assistant de Śiva, Vīrabhadra qui parvient à le mettre hors de combat. Il apporte la peau de l'éléphant à Śiva qui s'en fait un vêtement. C'est alors que les dieux accompagnés des gaņa partent en guerre contre Andhaka.
Śiva l'atteint d'une flèche mais chaque goutte de sang du démon qui tombe au sol se transforme en un petit asura réplique d'Andhaka lui même; ce qui fait que ce sont alors des milliers de petits démons contre lesquels Śiva doit combattre. Il cours le transpercer du triśula puis se met à danser pendant que Viṣṇu tue les petits démons de son cakra. Mais Andhaka saigne toujours et Śiva doit créer une śakti afin de recueillir les gouttes de sang. Elle naît de la flamme jaillissant de Śiva. Cette divinité se nomme Yogeśvarī (souveraine du Yoga). A elle se joignent les śakti des autres dieux; à savoir Brāhmaṇī, Maheśvarī, Kaumārī... qui se nomment aussi les Mères. Elles boivent le sang du Grand Asura et le démon meurt enfin.
Cette légende signifie le combat de la spiritualité contre l'ignorance, selon le Varāha-Purāṇa. En principe, les Mères sont absentes des représentations.
Ce thème symbolise également la colère, la punition. Ce qui ne peut être désiré est puni, mais l'acte de repentance est toujours récompensé. Ainsi, Andhaka qui désire la femme de son père, chose totalement proscrite est puni par son père. Bhairava est donc aussi un dieu qui châtie et qui exprime sa colère dans une certaine notion de vengeance qui ressort bien dans ce thème iconographique qui n'a rien en commun avec le meurtre de Brahmā. La honte du crime ne ressort plus du tout (absence de coupe crânienne, désormais portée à la coiffure jaṭābhāra, signalant son aspect colérique, nombreux bras portant des armes signalant le combat contre les démons, dynamisme de la pose).
Autre absence remarquée: celle du chien Ruru, qui pourtant accompagne Bhairava presque systématiquement en tant que monture (il utilise aussi le cheval), à part entièrement distincte de la monture habituelle de Śiva: le taureau Nandin.
Deux exemples sont ici présentés datés de l'Epoque Gupta, dans les sites d'Elephanta et d'Ellora. Le thème est toujours le même à des variantes minimes près. Dans les deux cas, Bhairava est en posture fendue, aggressive. Ses nombreux bras soulignent également cet aspect, et un mouvement est imprimé pour signifier la colère. L'épée, symbole de la lutte contre le mal est présente dans une des nombreuses mains. La nudité symbolise quant à elle la violence.
Dans le premier exemple, Bhairava transperce Andhaka d'un coup de trident semble t'il d'après ce que l'on peut voir malgré l'état de conservation non optimal pour une analyse approfondie.Il est paré d'un collier, et sur sa coiffe, il porte un kapāla qui cette fois n'a plus rien à voir avec le meurtre de Brahmā, mais qui est un attribut inhérent à toute forme terrible y compris Kālī. Ses yeux sont exhorbités, ses crocs apparents. Il saisit de plus le petit démon dans une de ses mains et le déchiquète ou plutôt s'apprète à le faire. En bas, une divinité féminine, il s'agit de Parvatï rappelant la légende à laquelle le thème est lié ainsi que la śakti issue de Śiva destinée à boire le sang du Grand Asura.
Autre exemple, celui d'Ellora. Il présente une posture encore plus aggressive, d'avantage portée sur l'avant, avec un visage encore plus terrible aux crocs bien plus menaçants. La coiffure est identique.
Ce qui diffère, c'est le fait que Bhairava porte ici le coup de trident à Andhaka. Parvatï est là encore présente.
On remarquera que ni dans cette image, ni dans la précédente il n'est fait d'allusion à l'acte de soumission du démon qui suit chaque punition. Il ne dispense pas ses grâces (anugraha) au démon bien qu'il devienne tout de même dévot de Śiva.




La destruction du sacrifice de Dakṣa Il s'agit d'une légende issue des Veda, au temps ou Śiva portait encore le nom de Rudra. Voici de quoi il s'agit.
Dakṣa est le père de Ūmā. Cette dernière épouse Śiva mais Dakṣa le méprise car il n'a aucune fortune et ce n'est qu'un mendiant errant dans les cimetières et irrespectueux envers son beau père.
Celui-ci ne prend pas la peine de l'inviter à une cérémonie sacrificielle.Ūmā est attristée et Śiva tente en vain de la réconforter. Elle est bien trop honteuse du comportement irrévérencieux de son père et elle décide de se suicider. Selon certaines versions, elle se suicide en se jettant dans le feu sacrificiel. Śiva se venge alors et prend sa forme terrifiante de Bhairava afin de détruire le sacrifice avant de décapiter Dakṣa (ou selon d'autres versions, de faire décapiter Dakṣa par un démon gigantesque issu d'un de ses cheveux nommé Vīrabhadra). La femme du roi implore Bhairava de réparer son acte ce qu'il accepte à contre-coeur. On ne retrouve cependant plus la tête de l'infortuné roi. C'est la tête du bouc fraîchement sacrifié qui lui est donnée.
Bhairava toujours fou de douleur porte sur lui le corps de son épouse et entame la danse de la destruction de l'univers. Alors qu'il menace de tout détruire; Viṣṇu intervient et découpe le corps d'Ūmā avec son cakra les faisant retomber en les endroits que l'on appelle aujourd'hui Śakti Pītha. Cet épisode est représenté par la forme guerrière de Śiva Bhairava avec les attributs qui lui sont inhérents. Cependans, il porte en plus l'arc et est davantage représenté en ascète. Il est aussi accompagné de son épouse Parvatī. Comme il s'agit d'un mythe ambigü, il ne fait ici pas l'objet d'une étude approfondie.
D'autres représentations révèlent encore davantage la nature terrible de Śiva (appelé aussi Vīrabhadra selon les versions où il ne s'agit pas du démon sorti du cheveux du dieu) par les cheveux ébourriffés évocant des flammes et une guirlande de crânes portée en sautoir. Il est aussi armé jusqu'aux dents. Deux canines dépassent de ses lèvres.
Est aussi présent dans chaque image de ce mythe le roi Dakṣa doté de sa tête de bouc. Il est en position de prière, de dévotion (añjali-mūdra).




Deux mythes mineurs, sans représentations iconographiques La punition de Viṣṇu – Kālabhairavamāhātmya Bhairava punit Viṣṇu pour la même raison qu'il punit Brahmā: il oublie de vénérer Śiva. Allongé sur le serpent Ananta, Viṣṇu, après un moment de volupté avec Lakśmī oublie d'adorer Śiva. C'est alors qu'il prend sa forme Bhairava et avale les deux diviniés en même temps que l'océan. Śiva conserve ainsi dans son estomacViṣṇu et Lakśmī pendant une éternité puis les recrache.Viṣṇu devint un adorateur de Śiva des plus fervents.




Bhairava Damanaka Ceci est raconté dans l'Agni-Purāṇa. Bhairava asservit les dieux. Il est alors né de la colère de Śiva.
Ce dernier le maudit et le condamne à se transformer en un buisson damanaka (ce qui signifie en sanskrit: qui dompte, qui asservit). Śiva adoucit en revanche sa malédiction en annonçant que c'est en adorant Bhairava sous cette forme que les hommes auront le bénéfice complet du culte.




La destruction de Tripurā – Tripurāntanka – Śiva terrifiant et guerrier
La représentation de ce mythe est ambigüe. Elle présente Śiva sous forme guerrière et non forcément terrible mais certaines versions du mythe placent Bhairava au coeur de celui-ci (selon Alain Daniélou, indologue). C'est pourquoi il mérite d'être ici mentionné afin de montrer l'ambiguité du personnage.
Trois asura obtinrent de Brahmā par leurs autérités de régner sur trois villes imprenables construites par Maya. Ces villes doivent se réunir après une période de mille ans (selon le Mahābhārata). L'une d'elle est en fer et est située sur Terre; une autre est en argent et est située dans l'atmosphère, et la dernière est placée au ciel et faite d'or. Les trois rois placés à leur tête sont frères.
Puis les asura se mirent à opprimer le monde (ou bien selon les versions, les trois mondes). Les dieux impuissants demandent alors le secours de Śiva. Un char lui est construit, décrit comme cosmique et spirituel, constitué de la Terre elle même. Le Soleil et la Lune sont ses roues, les Veda ses chevaux et Brahmā son cocher (parfois, Brahmā n'en est pas le cocher et le char vole).
Śiva prend alors sa forme de Bhairava et s'arme d'un arc et d'une flèche chargé d'une énergie sans mesure faite de l'essence d'Agni, de Soma et de Viṣṇu. Il attend les mille ans au terme desquels les villes se réunissent pour forme Tripurā puis décoche sa flèche qui détruit tout.
Dans les représentations, le char est toujours figuré de profil à l'exception des chevaux parfois figuré un peu de trois quarts. Bhairava est alors très grand proportionnellement pour montrer sa grandeur efficiente. Il porte quatre à huit bras et il est en train de décocher sa flèche dans la position de l'archer. Brahmā conduit le char. L'épouse du dieu est parfois figurée mais elle est de bien modeste dimension. On n'en fera pas une étude plus approfondie et n'en présentera pas une image
car c'est un mythe trop ambigü et attribué à Bhairava de manière seulement partielle.




Conclusion: une iconographie propre à la terreur, Bhairava aujourd'hui
Bhairava est un personnage ambigü à la fois terrifiant, méprisable, violent, irresistiblement séduisant, repoussant et protecteur. Il délivre le monde des asura tout comme le fait Viṣṇu sous la forme de ses avatāra. Depuis un culte sectaire et hors caste, il se répand de plus en plus pour prendre une dimension tout à fait populaire dans toute sa bienveillance, jusqu'au bouddhisme tantrique.
L'iconographie de Bhairava est récurente en d'autres divinités, car ses attributs sont inhérents à chaque divinité dite terrifiante. On retrouve cela chez les démons, Kālī sa parèdre et les gardiens de porte (kṣetrapāla) destinés à la protection des temples.




Kālī la noire et les kṣetrapāla , parallèle avec Bhairava Elle est la force régissant et faisant disparaître le temps (en ce sens elle est en relation avec Kālabhairava). Tout procède d'elle et elle dévore tout ce qui existe. Force de destruction incarnée, sagesse divine, elle met un terme à toute illusion (tout comme Bhairava).
Sa carnation est noire ou bien bleue foncée, couleur de la Terre faisant surgir la vie et la destruction.
Ainsi, les plantes meurent puis retournent à la Terre et nourrissent les plantes à venir servant d'énergie à la pousse.
Il existe des images maternelles de Kālī mais il s'agit généralement d'une vieille femme squelettique et décharnée à force de donner la vie et de toujours enfanter . Elle a toujours une faim insatiable. Ses crocs sont découverts et elle tire la langue, de couleur rouge du sang de ses victimes.
En tant qu'épouse de Śiva, elle le soumet et danse souvent sur son corps. Sa monture est le tigre symbolisant la puissance de destruction.
Ainsi, Kālī complète l'oeuvre de Bhairava et constitue son énergie vitale ou śakti. Elle fait partie de Durgā, elle en est un aspect car la śakti est un tout.
Les kṣetrapāla ou gardiens de portes relèvent de la même iconographie. De plus, on observe que Bhairava tend à se limiter à ce rôle dans les époques les plus récentes. Situé à l'entrée des temples, il se limite à les protéger.




La dévotion aujourd'hui, Bénarès ville sainte de Bhairava
Bénarès est intimement liée à Bhairava dès le mythe d'origine car il doit s'y rendre pour se baigner dans le Gange et se purifier de l'horrible crime qu'il a commi. Un jour de fête par an lui est totalement consacré.
Une fois pardonné, il reçoit du roi local le titre de kotvāl, c'est à dire de magistrat suprême de la police. A ce jour, les emplacements des temples sont en étroite liaison avec celui des postes de polices et le culte de Bhairava se fait même parfois dans ces postes. Le kotvāl est responsible de
huit postes de police comme Kālābhairava à la tête des huit aṣṭabhairava. Les pélerins doivent se présenter à lui en arrivant à Bénarès tout comme l'étranger doit montrer ses papiers au policier pour entrer, même si aujourd'hui ce n'est plus une étape obligatoire. De la même manière, un criminel arrive au commissariat comme les pélerins au temple pour se purifier de leurs péchés.
A Bénarès, on brûle les morts à l'intérieur de l'enceinte de la ville alors que partout ailleurs en Inde, les bûchers funéraires se dressent à l'extérieur de la ville. Cette pratique est liée à la notion de transgression dont laquelle Bhairava est l'incarnation, représentant tout ce qui effraie les hindous bien ordonnés dans le système des castes puisque Bhairava les transgresse. Il coupe la tête de Brahmā, transgressant la loi. Le pécheur repenti devient maître à Bénarès, conférant à la ville sa puissance purificatrice.
La terreur qu'il inspire n'est alors plus celle de la colère comme dans le contexte mythologique mais celle qui atteint ceux qui se conduisent mal dans la ville et les pécheurs en général. Il accélère ainsi la libération du cycle karmique des transmigrations.
A Bénarès, on trouve aussi la tête de Bhairava. Ayant tenté d'abuser de la Déesse, celle ci s'enfuit dans les montagnes de l'Himalaya. Il la poursuit et finit par la retrouver mais la Déesse se transforme et lui coupe la tête qui par la violence du choc, roule jusqu'à la ville de Bénarès. Dans une autre version, il arrive en ville afin d'assister à la fête Bisket commémorant à chaque printemps le mariage d'une princesse tuant tous ses amants grâces à deux serpents avec un prince qui a survécu au massacre de ces prétendants. Deux bannières sont dressées représentant les serpents et un bouc est sacrifié devant un arbre débarassé de ses branches. Bhairava est présent sous la forme d'une petite pierre, regardant le déroulement de la fête.









Destruction du sacrifice de daksha :











Bhairava de hoysalesvara :











Andhaka :








Bibliographie Ouvrages d'iconographie et de civilisation généraux ¤ FREDERIC Louis; Dictionnaire de la civilisation indienne; Robert LAFFONT; Bouquins, 1987
¤ OKADA Amina; Sculptures indiennes du musée Guimet; Réunion des Musées Nationaux; Trésorsdu musée Guimet; 2000
¤ LOTH Anne-Marie; Védisme et Hindouisme, images du Divin et des Dieux; Editions ChapitreDouze; 2003
¤ JANSEN Eva Rudy; Iconographie de l'hindouisme; Brikey Kok; 1995





Ouvrages spécifiquement dédiés à Bhairava
¤ GAIROLA C.K.; The cult of Bhairava and images from Ladol in the Bevoda Museum; Museum Bulletin; n°XIX; p.12 à 16; 1965
¤ DOUIE J.M.; Some modern forms of Bhairava; Indian Antiquary; n°XXV; p.260; 1896
¤ CHALIER-VISUVALINGAM Elizabeth; Bhairava, entre terreur et protection; Dieux, Hommes et Religions, 2003
¤ LADRECH Karine; L'iconographie de Bhairava dans l'Inde du Sud (jusqu'au XIII e siècle); Thèsede troisième cycle (Université Paris IV); 2004




Références Internet
¤ Philhin.org: http://www.philhine.org.uk/writings/tt_wrathful.html
¤ Bhairava sur la Base Huntington: http://huntington.wmc.ohio-state.edu/public/index.cfmfuseaction=browseResults&IconographyID=1055


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