dimanche 6 décembre 2009

Document NARA sur l'authenticité.




  1. Nous, experts réunis à Nara (Japon), tenons à saluer la générosité et la vision intellectuelle des autorités japonaises qui nous ont ménagé l'opportunité d'une rencontre destinée à mettre en question des notions devenues traditionnelles en matière de conservation du patrimoine culturel et à instaurer un débat sur les voies et moyens d'élargir les horizons dans la perspective d'assurer un plus grand respect, de la diversité des cultures et des patrimoines dans la pratique de la conservation.



  2. Nous avons apprécié à sa juste valeur le cadre de discussion proposé par le Comité du Patrimoine mondial. Celui-ci s'est déclaré désireux de mettre en application, lors de l'examen des dossiers d'inscription qui lui sont soumis, un concept d'authenticité respectueux des valeurs culturelles et sociales de tous les pays.



  3. Le " Document de Nara sur l'authenticité " est conçu dans l'esprit de la " Charte de Venise, 1964 ". Fondé sur cette charte, il en constitue un prolongement conceptuel. Il prend acte de la place essentielle qu'occupe aujourd'hui, dans presque toutes les sociétés, le patrimoine culturel.


  4. Dans un monde en proie aux forces de globalisation et de banalisation et au sein duquel la revendication de l'identité culturelle s'exprime parfois au travers d'un nationalisme agressif et de l'élimination des cultures minoritaires, la contribution première de la prise en compte de l'authenticité consiste, aussi dans la conservation du patrimoine culturel, à respecter et mettre en lumière toutes les facettes de la mémoire collective de l'humanité.




  1. La diversité des cultures et du patrimoine culturel constitue une richesse intellectuelle et spirituelle irremplaçable pour toute l'humanité. Elle doit être reconnue comme un aspect essentiel de son développement. Non seulement sa protection, mais aussi sa promotion, demeurent des facteurs fondamentaux du développement de l'humanité.


  2. Cette diversité s'exprime aussi bien dans une dimension spatiale que temporelle tant pour les cultures que pour les modes de vie qui leur sont liés. Dans le cas où les différences entre cultures seraient à l'origine de situations conflictuelles, le respect de la diversité culturelle requiert la reconnaissance de la légitimité des valeurs spécifiques de toutes les parties en cause.


  3. Les cultures et les sociétés s'expriment dans des formes et des modalités d'expression, tant tangibles que non tangibles, qui constituent leur patrimoine. Ces formes et modalités doivent être respectées.


  4. Il importe de rappeler que l'UNESCO considère comme principe fondamental le fait que le patrimoine culturel de chacun est le patrimoine culturel de tous. De la sorte, les responsabilités sur le patrimoine, et sur la manière de le gérer appartiennent en à la charge. Toutefois, l'adhésion aux chartes et aux conventions relatives au patrimoine culturel implique l'acceptation des obligations et de l'éthique qui sont à la base de ces chartes et conventions. De ce fait, la pondération des propres exigences à l'égard d'un même patrimoine est hautement souhaitable, toutefois sans qu'elle ne contrevienne aux valeurs fondamentales des cultures de ces communautés.




  1. La conservation du patrimoine historique, sous toutes ses formes et de toutes les époques, trouve sa justification dans les valeurs qu'on attribue à ce patrimoine. La perception la plus exacte possible de ces valeurs dépend, entre autres, de la crédibilité des sources d'information à leur sujet. Leur connaissance, leur compréhension et leur interprétation par rapport aux caractéristiques originelles et subséquentes du patrimoine, à son devenir historique ainsi qu'à sa signification, fondent le jugement d'authenticité concernant l'œuvre en cause et concerne tout autant la forme que la matière des biens concernés.


  2. L'authenticité, telle qu'elle est ainsi considérée et affirmées dans la " Charte de Venise ", apparaît comme le facteur qualificatif essentiel quant à la crédibilité des sources d'informations disponibles. Son rôle est capital aussi bien dans toute étude scientifique, intervention de conservation ou de restauration que dans la procédure d'inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial ou dans tout autre inventaire du patrimoine culturel.


  3. Tant les jugements sur les valeurs reconnues au patrimoine que sur les facteurs de crédibilité des sources d'information peuvent différer de culture à culture, et même au sein d'une même culture. Il est donc exclu que les jugements de valeur et d'authenticité qui se rapportent à celles-ci se basent sur des critères uniques. Au contraire, le respect dû à ces cultures exige que chaque oeuvre soit considérée et jugée par rapport aux critères qui caractérisent le contexte culturel auquel elle appartient.


  4. En conséquence, il est de la plus haute importance et urgence que soient reconnues, dans chaque culture, les caractères spécifiques se rapportant aux valeurs de son patrimoine, ainsi qu'à la crédibilité et la fiabilité des sources d'information qui le concernent.


  5. Dépendant de la nature du monument ou du site et de son contexte culturel, le jugement sur l'authenticité est lié à une variété de sources d'informations. Ces dernières comprennent conception et forme, matériaux et substance, usage et fonction, tradition et techniques, situation et emplacement, esprit et expression, état original et devenir historique. Ces sources sont internes à l'oeuvre ou elles lui sont externes. L'utilisation de ces sources offre la possibilité de décrire le patrimoine culturel dans ses dimensions spécifiques sur les plans artistique, technique, historique et social.


Suggestions pour les suites à donner au Document (proposées par H. Stovel)



  1. Le respect de la diversité des cultures et des patrimoines exige un effort soutenu pour éviter qu'on impose des formules mécaniques ou des procédures uniformisées lorsqu'on tente de définir et d'évaluer l'authenticité d'un monument ou d'un site.


  2. L'appréciation de l'authenticité en respectant les cultures et la diversité du patrimoine demande une approche qui encourage les cultures à se doter de méthodes d' "analyse et d'instruments qui reflètent leur nature et leurs besoins. De telles approches peuvent avoir plusieurs points communs dont les efforts nécessaires pour :
    > S'assurer que l 'évaluation de l'authenticité engage une collaboration multidisciplinaires et la contribution adéquate de toutes les expertises et connaissances disponibles ;
    > S'assurer que les valeurs reconnues soient vraiment représentatives d'une culture et de la diversité de ses préoccupations, notamment envers les monuments et les sites ;
    > Documenter clairement la nature spécifique de l'authenticité des monuments et des sites pour constituer un guide qui serve à leur traitement et au suivi ;
    > Actualiser les appréciations du degré d'authenticité à la lumière de l'évolution des valeurs et du contexte.


  3. Il est particulièrement important de faire l'effort pour s'assurer qu'on représente les valeurs reconnues et que le processus de leur identification comprenne des actions pour développer , dans la mesure du possible, un consensus multidisciplinaire et communautaire à leur endroit.


  4. Les démarches devraient reposer sur la coopération internationale parmi tous ceux et celles qui s'intéressent à la conservation du patrimoine culturel et contribuer à cette coopération afin d'accroître le respect universel et la compréhension de la diversité des valeurs et des expressions culturelles.


  5. La poursuite de ce dialogue et son extension dans les différentes régions et cultures du monde constitue un pré requis pour augmenter la valeur pratique de l'attention qu'on porte à l'authenticité dans la conservation du patrimoine commun de l'humanité.


  6. La sensibilisation accrue du public à cette dimension du patrimoine est absolument nécessaire pour arriver à des mesures concrètes qui permettent de sauvegarder les témoignages du passé. Cela signifie que l'on développe une plus grande compréhension de valeurs que représentent, en soi, les biens culturels autant que de respecter le rôle que jouent des monuments et sites dans la société contemporaine.

Annexe II

Définitions :



  • Conservation : comprend toutes les opérations qui visent à comprendre une oeuvre, à connaître son histoire et sa signification, à assurer sa sauvegarde matérielle et, éventuellement sa restauration et sa mise en valeur. (Le patrimoine culturel comprend les monuments, les ensembles bâtis et les sites tels que les définit l'article 1 de la Convention du patrimoine mondial).


  • Sources d'information : ensemble des sources monumentales, écrites, orales, figurées permettant de connaître la nature, les spécificités, la signification et l'histoire d'une œuvre.

Le Document de Nara sur l'Authenticité a été rédigé par 45 participants à la Conférence de Nara sur l'Authenticité dans le cadre de la Convention du Patrimoine Mondial, tenue à Nara, Japon,1-6 novembre 1994, sur l'invitation de la Direction des Affaires Culturelles du Gouvernement Japonais et la Préfecture de Nara. La Direction organisa la Conférence de Nara en coopération avec l'UNESCo, l'ICCROM et l'ICOMOS.

Cette version finale du Document de Nara a été rédigée par les deux rapporteurs généraux de la Conférence, M. Raymond Lemaire et M. Herb Stovel.

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