samedi 1 novembre 2008

La formation de l’architecte à la fin du XVIIIe siècle.


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© Eosclio

Introduction :
Jacques-François Blondel (1705 – 1774, architecte, théoricien et grand professeur d’architecture du 18e), dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (éditée de 1751 à 1772, vol. 1, t. I, p. 178, pl. 616) : « La protection que Louis XIV a accordé à ceux de son temps, nous fait assez connaître qu’un bon architecte n’est point un homme ordinaire, puisque sans compter les connaissances générales qu’il est obligé d’acquérir, telles que les belles lettres, l’histoire, etc., il doit faire son capital du dessin, comme l’âme de toutes ses productions ; des mathématiques, comme le seul moyen de régler l’esprit et de conduire la main dans ses différentes opération ; de la coupe des pierres, comme de la base de toute la main-d’œuvre d’un bâtiment ; de la perspective, pour acquérir les connaissances des différents points d’optique, et les plus-valeurs qu’il est obligé de donner aux hauteurs de la décoration, qui ne peuvent être aperçues d’entre-bas. Il doit joindre à ces talents les dispositions naturelles, l’intelligence, le goût, le feu et l’invention, parties qui lui sont non seulement nécessaires, mais qui doivent accompagner toutes ses études. ».
Donc nous voyons que l’architecte ne se contente plus d’appliquer les projets qui lui sont proposés mais il se forme à ce qui est nécessaire à l’ensemble d’un projet ce qui va nécessairement amener l’architecte à réfléchir sur sa position même et donc sur l’architecture plus généralement.
On trouve également à cette époque un regain d’intérêt pour l’art antique avec les études qui s’y rattachent, philosophie des Lumière et Révolution Française qui forment les points important et qui va entrainer l’évolution de l’architecture à la fin du XVIIIe siècle.
Frédéric II de Prusse : « Le tombeau de Voltaire est celui des Beaux Arts [mort en 1778] ; il fait la clôture du beau siècle de Louis XIV. Nous entrons maintenant dans le siècle de Pline, de Sénèque et de Quintilien ». Cette époque va donc connaître une rupture qui va voir les architectes se tourner vers l’art antique, qui ne va plus être perçut comme le passé de l’art italien.

Problématique et plan. En quoi le contexte politico-culturel de la fin du XVIIIe siècle entraîne-t-il la modification du rôle de l’architecte ? Quelle influence cela a-t-il sur la formation même de ces derniers ?
Les renouvellements apportés au 18e siècle (refus du Baroque, retour à l’Antique, l’influence des Lumières) ; Une nouvelle formation (fin de l’Académie, réorganisation des enseignements) ; Un nouvel architecte pour une nouvelle société.

I – Renouvellement de la discipline architecturale.

A / Refus de la culture Baroque et retour à l’Antique.


Mario Gioffredo, Dell’Architectura, 1768 : L’illustration de couverture se compose de l’Architecture personnifiée, assise sur des vestiges archéologiques, qui tient dans sa main le compas et la règle, instruments d’un projet appuyé sur la rationalité. Les projets sont donc fondés sur la mémoire historique comme signification culturelle (Recourt permanent à l’histoire, à la mémoire alimente alors la nostalgie pour le passé, exorcise les doutes vis-à-vis d’un présent très critiqué par les auteurs) et sur les outils permettant de contrôler l’invention au moyen d’instruments géométriques précis.
L’invention doit en effet être placée sous le contrôle de la Raison. L’accent est surtout mit sur les aspects techniques de la préparation professionnel sans oublier la culture. Cela est un instrument d’opposition à la métaphysique baroque car cela refuse ce qui est rationalisé ou réglé en fonction de principes établis une fois pour toutes comme ce fut le cas avec l’Académie. Le Baroque est par ailleurs considéré par les contemporains comme un avatar du gothique. Seule la Raison semble en mesure de redéfinir les méthodes du projet, laissant de moins en moins de place à l’invention et surtout à l’imagination pure.
L’élaboration de nouveaux projets peut alors être faite à partir de l’étude du classicisme qui fournit des modèles sur le plan typologique mais aussi sur celui de la rigueur formelle de la composition.
Mais les architectes souhaitent aller aux sources mêmes du classicisme, l’Antiquité ne doit plus être le passé de l’art italien mais une source même.
Les canons du Beau se tournent au XVIIIe siècle vers l’art Antique. On voit en effet des théoriciens tels que Winckelmann pour la peinture et la sculpture écrire des traités faisant l’apologie de l’art grec et qui tentent de trouver comment construire, peindre ou sculpter à la manière Antique. Le Baroque fait alors l’objet d’un refus car il et trop métaphysique. L’architecture est bien entendue touchée par ces études.
En effet, la connaissance et la documentation archéologique de cette époque se base sur des sciences et recherche des objectifs et des significations culturelles et historique des témoignages passés pour être appliqué à différents domaines comme l’architecture.
L’intérêt pour le monde antique est en partie dû à toutes ces découvertes et explorations associés à une curiosité et soif d’apprendre typiques de ce siècle.
L’Antiquité suscite des idées nouvelles et offre une idéologie associant beauté esthétique et organisation sociale, ce que recherchent les théoriciens du XVIIIe siècle.


B / L’influence des Lumières.
Le siècle des Lumières amène à réfléchir sur le sens des choses.
A cette époque, le rôle du critique, assumé par l’homme de lettre, est primordial. On voit alors l’émergence de nombreuses théories chez les savants qui relisent les textes anciens. Ce sont des savants, des écrivains ou de simples érudits qui, parfois sans formation, s’intéressent à l’architecture avec des approches différentes mais toujours avec une critique pertinentes avec les doctrines vitruviennes. On trouve d’ailleurs des rééditions de Vitruve de nombreuses fois au XVIIe et XVIIIe ce qui constitue un point de départ sur les principes de l’architecture.
Importance grandissante des intellectuels sur les architectes est une des caractéristiques de cette période et cette spéculation scientifique est considérée comme une des formes les plus achevées du rationalisme.
Beaucoup comprennent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que la pensée des Lumières est plus que la certitude, dans la mesure cette période inaugure l’ère du doute moderne.
Les architectes cherchent alors à établir des comportements professionnels, des règles afin de définir un cadre dans lequel ils inscriront leur démarche.
Pourtant, si ce débat sur le rôle de l’architecte s’internationalise à travers une suite d’échanges, le renouveau de la discipline architecturale étant liée à des exigences sociales et à une pratique nouvelle, c’est en France que s’en ressentent les meilleurs résultats. En effet, elle en montre plus attentive aux changements de goût. Cela entraîne un malaise croissant entre les intellectuels et certains membres de l’Académie d’architecture, lieu encore officiel de la formation des architectes.

II – Une nouvelle formation.

A / De nouveaux choix de disciplines. Les programmes des écoles déterminent les compétences des disciples afin de mieux préparer la nouvelle génération d’architectes à un art qui ne se contente plus de représenter ou exalter le pouvoir.
Rôle important des académies qui élaborent une nouvelle théorie des principes de l’architecture. Les académies sont aussi le point de référence des institutions qui ont pour volonté de se réformer.
L’Académie Royale d’Architecture est fondée en 1671, soit 16 ans après celle de Peinture et de Sculpture. A l’Académie, les professeurs ainsi que le directeur sont nommés par le Surintendant des Bâtiments du Roi. En 1666, déjà l’Académie de France voit le jour à Rome et 2 ans auparavant le prix de Rome est instauré. Cette ville est alors considérée comme le lieu privilégié dans l’étude des sources classiques et des traités. La mission de l’Académie est d’élaborer une discipline architecturale, de mettre en place un enseignement des architectes afin de diffuser ces règles et de vérifier que celles-ci sont appliquées dans la pratique.
La géométrie, comme exemple d’une matière nouvellement enseignée, est vue comme un contrôle rationnel de l’objet projeté et vérifie ses qualités architectoniques. Elle définie le rapport entre le projet et d’autres objets dans l’espace et le rend alors contrôlable. La rigueur scientifique reflète une vision rationnelle de la profession, libérée de l’exaltation des formes. L’Académie se voit alors inadaptée à ces nouveaux enseignements, elle passe alors d’une réformation à une remise en cause complète.



Hautecœur, Révolution et Empire 1792 – 1815, Histoire de l’architecture classique en France, t.V, Picard, Paris, 1953 : « L’Académie règne sur les architectes les étudiants, les entrepreneurs, les édifices du roi, des provinces et des villes. Elle constitue un instrument puissant au service du pouvoir central ». Cela démontre du climat conservateur qui règne en ces lieux officiels d’où une volonté de changement radical par des défenseurs de la pensée des Lumières.
Cette tâche s’applique surtout dans les académies les plus traditionnelles car c’est là surtout que s’exerce la formation de la nouvelle génération d’architectes.
On veut soustraire les écoles au contrôle officiel de la cour et privilégier l’aspect technique et scientifique de la préparation ; Les académies royales sont alors de plus en plus supprimées ou tout du moins marginalisées pour être remplacées par de nouveaux instituts. Leurs programmes sont révisés avec une plus grande rigueur scientifique et sont directement contrôlés par des hommes de culture ou représentants des nouvelles classes au pouvoir.
En 1747 est crée l’Ecole Royale des Ponts et Chaussées. Elle acquiert très vite un certain prestige dû notamment à son organisation pédagogique qui, au-delà des matières scientifiques, prévoit l’étude de l’économie. Les professeurs restent extérieurs à l’organisation administrative, ils sont payés par des bourses gouvernementales ou par les élèves eux-mêmes.
Révision des disciplines requises pour la formation. Les matières scientifiques (mathématiques) sont privilégiées. Retour à l’Antique sur des bases rationnelles et accompagné d’un débat sur le sens de cet héritage.
En France naissent alors de nombreuses structures privées et aucune ne tient alors un monopole en terme d’instruction. L’approche scientifique ne laisse rien au hasard, ni le choix, ni le lieu, ni l’organisation du chantier, ni l’emploi des matériaux. On a une réduction de la distance qui existe entre l’architecte et l’ingénieur en raison de l’approfondissement des nouveaux problèmes scientifiques. La divergence entre l’architecte et l’ingénieur se situe surtout dans le choix du terrain d’application.
Ce n’est que par l’utilisation rationnelle d’instruments que l’architecte peut se dégager de l’enseignement traditionnel qui caractérise encore la pédagogie de l’Académie pendant une grande partie du XVIIIe siècle. On recourt de plus en plus aux maquettes permettant d’expérimenter l’effet des forces mises en œuvre. Cela découle de la méthode rationnelle avec laquelle on aborde désormais l’architecture. La construction de l’église Sainte Geneviève par Jacques-Germain Soufflot dès 1775 illustre cette nouvelle manière d’aborder l’architecture. L’organisation du chantier prévoit donc une connaissance parfaite des matériaux, du processus de construction, et l’application de techniques qui facilitent la mise en œuvre d’éléments habituellement construits sur un autre lieu et assemblés sur place. Les nouvelles machines mises à disposition de l’artiste appartiennent aussi à cette logique du chantier moderne car elles permettent une économie humaine et financière (l’architecte a aussi la fonction d’ingénieur).
Traité de l’abbé Cordemoy (1706, Nouveau Traité de toute l’architecture ou l’art de bâtir utile aux Entrepreneurs et aux Ouvriers & à ceux qui font bâtir) : « Parmi l’ensemble des arts utilitaires, l’architecte est celui qui requiert le plus grand talent et les plus vastes connaissances. Pour faire un bon architecte, il faut probablement autant de goût, d’intelligence et de génie que pour former un Peintre ou un Poète de premier ordre. Considérer qu’il ne s’agit que d’une discipline mécanique serait une grave erreur… » ; « Quiconque est en mesure d’apprécier tant de beauté, loin de confondre l’Architecture avec les Arts mineurs, aura plutôt tendance à l’élever au rang des Sciences les plus achevées. ».


On voit alors une volonté d’inscrire la profession d’architecte comme fondée sur un savoir spécifique.
Préparation théorique et choix des disciplines se fait à l’Académie puis à l’Ecole, mais l’essentiel de sa formation se fait par l’expérience sur le terrain par l’étude, les relevés et les observations de l’architecture antique.

B / Une ouverture de la culture architecturale : les voyages et les débats.
Connaissance et description littéraire des lieux antiques ouvrent la voie à des initiatives regroupant hommes de lettre, dessinateurs, archéologues, architectes, mécènes et collectionneurs. Des bourses d’études sont financées pour des élèves architectes afin qu’ils se rendent en Grèce ou à Rome, afin de parfaire leur préparation. En effet, le passage du classicisme de voltaire à celui de Pline nécessite un abandon de la capitale parisienne au profit de la capitale romaine. Notons l’importance des découvertes d’Herculanum et de Pompéi, ainsi de Paestum.
Le Grand Tour est un moment fondamental de la formation de l’architecte et des intellectuels du XVIIIe siècle en général. Les récits de voyages, les dessins de monuments et les relevés se répandent largement et s’opposent au baroque en se tournant vers le classicisme. De très nombreuses publications se succèdent [Tables de Séroux d’Agincourt] et participent au courent de pensée qui adhère au modèles des expériences passées connues par ces publications, les gravures, les dessins.



Le « voyage » devient l’aboutissement indispensable d’une formation culturelle individuelle.
Le premier Prix de Rome date de 1720. L’Académie décide de réaliser un concours par an. Le résultat du concours doit décider de l’accès à l’élève-architecte au pensionnat à Rome. Le Grand Prix se déroule de la manière suivante : Adoption par un académicien au début de l’année scolaire pour pouvoir concourir ; Précision du programme pour la concours par l’Académie après délibérations et examens des différentes propositions ; Les élèves fournissent des esquisses (juillet) ; Sélection des esquisses par l‘Académie qui en élimine quelques unes ; Mise au point des projets définitifs par les concurrents restant ; Nouvelles éliminations après un examen de conformité des projets d’une commission composée du professeur d’architecture et de 3 académiciens ; Exposition publique de la dizaine de projets retenus (août) ; Jugement des académiciens avec la distribution des prix et des médailles ; Présentation au Surintendant des Bâtiments du Roi du lauréat pour qu’il reçoive sa bourse de départ pour Rome.
Le débat sur le sens de la profession d’architecte est l’activité de nombreuses écoles européennes. A ce titre, en Angleterre est créé en 1791 l’Architect’s Club qui s’appuie sur un programme clairement rénovateur. Lors de l’assemblée annuelle de 1792 est justement abordé le problème de la définition de la profession et de sa mission d’un point de vu juridique.


III – Un nouvel architecte dans une société nouvelle.
Le rationalisme et fonctionnalisme reflètent la volonté d’une société qui cherche une voie démocratique pour atteindre une forme de pluralisme social. L’architecture se voit assigner une fonction déterminante dans la définition d’une société moderne dont elle doit exprimer les lois collectives, l’architecte devient alors un acteur essentiel de cette nouvelle société.
C’est dans la seconde moitié du XVIIIe on a une prise de conscience des architectes. En effet, ils se rendent compte de la nécessité de participer à la rationalisation de la production mais sont souvent incapables de trouver un équilibre entre la reconnaissance de la Cour et l’indépendance de leur profession.
On assiste à une classification typologique qui cherche à répondre aux besoins croissants d’une société pour laquelle l’architecture comme un moyen de créer des conditions de vie meilleures. Au siècle des Lumières, l’architecte a alors un rôle déterminant dans la transformation de la société.
Urbanisation caractéristique de cette période et les architectes trouvent dans ces modèles éclectiques une solution aux exigences typologiques et au désir de nouveaux monuments pour un monde d’entrepreneurs bourgeois.
Cette nouvelle classe sociale, décidée à accéder au pouvoir, entend trouver dans l’architecture un moyen d’exalter son émancipation récente.
Le mérite des architectes consiste alors surtout à avoir comprit que l’architecture peut répondre aux exigences avancées par une société qui évolue sans cesse.
Conclusion.
Dans sa formation, l’architecte ne se contente plus des disciplines techniques (d’ailleurs largement réformées). Il doit aussi démontrer qu’en plus de sa capacité à se perfectionner, il a ses propres idées sur l’architecture, sans quoi il risque de ne pas être choisit pour des commandes officielles.
Le nouveau rôle de l’architecte et son attention pour les demandes de structures sociales et d’assainissement de la ville, ne s’expriment cependant pleinement qu’au XIXe siècle malgré que les écoles se caractérisent de plus en plus par une orientation technique et scientifique.


Bibliographie.
CALLEBAT (Louis, dir.), Histoire de l’architecte, Flammarion, Paris, 1998.
DIDEROT, D’ALEMBERT, Encyclopédie, article « Architecte » de Blondel.
PELPEL (Laurent), COHEN (C.), PERDRIZET (M.-P.), La formation architecturale au XVIIIe siècle en France, Paris, Ministère de la culture et de l’environnement, 1980.
PEROUSE DE MONTCLOS (Jean-Marie), L’architecture à la française, Picard, Paris, 2001.
Encyclopédie Universalis.

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